Bénin: après la décision de la Cour africaine, Conaïde Akouedenoudje s’exprime sans filtre sur les mobiles de sa requête

Africaho
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Conaïde Akouenoudje, Juriste, Spécialiste des droits humains. @CA

La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) a rendu, mardi 13 juin 2023, sa décision sur un recours contre l’arrêt interministériel portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice béninoise. Dans son verdict, la juridiction continentale a condamné le Bénin pour violation de deux droits humains, ordonnant ainsi de rapporter l’arrêté dans un délai de (6) mois avec la présentation d’un rapport sur les mesures prises pour la mise en œuvre. Mais avant cette “issue” donnée par la Cour africaine, le requérant avait précédemment saisi la Cour constitutionnelle du Bénin qui a rendu le 25 septembre 2020, une ordonnance de rejet en faveur de l’Etat béninois. Qu’est-ce qui a poussé le requérant à se référer à la Cour africaine ? Quels sont ses rapports avec les personnes concernées par l’arrêt interministériel ?  Conaïde Akouedenoudje, Juriste béninois, Spécialiste en droits humains et démocratie et requérant devant la Cour africaine s’est prêté sans langue de bois aux questions de Africaho. Lisez plutôt !

Conaïde Akouenoudje, Juriste, Spécialiste des droits humains. @ CA

M. Akouedenoudje, vous avez formulé le 4 août 2020, un recours devant la Cour africaine contre le Bénin. La requête porte sur l’arrêt interministériel du 22 juillet 2019, portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice dans le pays. Quels étaient les fondements de ce recours ?

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Pour moi, défenseur des droits humains, il ne doit y avoir aucune place à aucune violation des droits humains, ni même une insécurité juridique pouvant occasionner, aujourd’hui ou demain, une méconnaissance des droits dont nous jouissons du simple fait que nous sommes des êtres humains. A partir de ce moment, la fréquentation des mécanismes de protection des droits humains devient spontanée, dès qu’une insécurité ou une violation des droits et libertés est constatée. Il ne s’agit surtout pas pour moi, ni pour les défenseurs des droits humains avec qui je travaille au quotidien, d’attendre d’être victime pour agir. C’est donc dans cette même perspective que j’ai décidé de porter ce recours. En substance, tout repart à 2019.

Plus précisément le 22 juillet 2019, date à laquelle le gouvernement du Bénin par le biais des ministres de la justice et de l’Intérieur a décidé de l’interdiction de délivrance des actes de l’Autorité aux personnes recherchées par la justice en République du Bénin. Il s’agit de l’arrêté interministériel N°023/MJL/DC/SGM/DACPG/SA 023SGGG19 dont l’article 3 dispose notamment qu’« il est interdit d’établir et de délivrer au profit et pour le compte des personnes recherchées par la justice ,les actes de l’autorité » Les actes de l’autorité, objet d’interdiction de délivrance sont énumérés à l’article 4 du dit arrêté. De manière non limitative, il s’agit des extraits d’actes d’état civil, le certificat de naissance, la carte nationale d’identité, le passeport, le laissez-passer, le sauf-conduit, la carte de séjour, la carte consulaire, le bulletin numéro 3 du casier judiciaire, le certificat ou l’attestation de résidence, le certificat de vie et de charges, l’attestation ou le certificat de possession d’état Le permis de conduire, la carte d’électeur, le quitus fiscal…

J’avais alors saisi la Cour constitutionnelle en raison de ce qu’elle est gardienne de la Constitution et la protectrice des droits fondamentaux.  En la saisissant, j’avais estimé que cet arrêté violait non seulement le droit à la présomption d’innocence mais constitue aussi une entrave au droit à la nationalité. La haute juridiction a estimé à l’époque sous un motif décisoire timide qu’il n’y a pas violation de la constitution.

Pour moi, cette disposition réglementaire est non seulement contraire aux droits fondamentaux, mais constitue également une entrave sérieuse à la sécurité juridique des citoyens. J’avais alors saisi la Cour constitutionnelle en raison de ce qu’elle est gardienne de la Constitution et la protectrice des droits fondamentaux.  En la saisissant, j’avais estimé que cet arrêté violait non seulement le droit à la présomption d’innocence mais constitue aussi une entrave au droit à la nationalité. La haute juridiction a estimé à l’époque sous un motif décisoire timide qu’il n’y a pas violation de la constitution. Elle avait même estimé « que dans le cas d’espèce, l’arrêté querellé n’a ni disposé sur la nationalité, ni retiré la nationalité béninoise aux citoyens » et qu’il n’y a pas non plus une méconnaissance de la présomption d’innocence.

Mais pour moi, l’existence d’un droit s’apprécie à l’aptitude de son titulaire de pouvoir tirer toutes les utilités que cela puisse lui procurer. De ce point de vue, le droit à la nationalité ne peut être déclaré effectif que sous le seul prisme tenant au fait qu’il n’y a ni abus, ni une quelconque restriction ou privation sans justification légitime. Etant convaincu de mon raisonnement, émanation des principes acquis et dans un contexte où le droit d’accès direct à la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples par les béninois était encore promu, j’ai décidé alors de m’en remettre à la sagacité du juge africain. Et après trois années de longue attente, la Cour a livré le fond de sa position.

L’Etat béninois, dans son arrêté, a pourtant clairement indiqué que les personnes recherchées par la justice sont ces personnes dont la comparution, l’audition ou l’interrogatoire est d’une nécessité pour les besoins de la police judiciaire, d’une instruction préparatoire, d’une instance de jugement, ou faisant l’objet d’une décision de condamnation exécutoire et qui ne défère pas à la convocation ou à l’injonction de l’autorité. Que dit la loi en la matière ? Les personnes recherchées devraient-elles continuer à jouir de ces services administratifs ?

Pour les besoins d’établissement de la vérité et de manifestation de la justice, les citoyens, lorsqu’ils sont convoqués doivent comparaître dans le cadre des différentes procédures. Les autorités judiciaires ont également la prérogative et les moyens de décerner des mandats et d’assurer leurs exécutions. Mais l’un des principes généraux de la procédure pénale, c’est la présomption d’innocence. Ce principe est constitutionnalisé et donc élevé au rang de règle à valeur constitutionnelle, en tant que droit fondamental.

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L’article 17 de la Constitution dispose notamment que « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées ». Ces mêmes dispositions sont prévues à l’article 7-1-b de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, qui fait par ailleurs partie intégrante de notre Constitution.

Alors, oui, il faut retrouver les personnes recherchées par la justice. Il faut mettre en œuvre la justice. Mais être recherchée par la justice, ce n’est pas être condamné.

Et parce que ce n’est pas une condamnation, on ne peut appliquer des mesures qui relèvent de sanctions pénales. En l’espèce, les mesures appliquées, l’interdiction de délivrance de tel ou tel actes sont des sanctions. Une personne recherchée ne peut pas prendre un acte de naissance, ni un passeport, ni aucun autre acte délivré par l’autorité. Or, aucune mesure pénale ne doit être prise en l’absence d’une procédure conforme à la procédure et à ces principes généraux. Cette règlementation met donc en péril la présomption d’innocence mais occasionne également la violation de plusieurs autres droits. Au fond, les droits humains ont une interdépendance qui fait que la violation de l’un entraine systématiquement la violation de plusieurs autres.

Dans votre requête, vous avez demandé à la Cour africaine de constater la violation des droits humains énoncés dans la charte par l’Etat du Bénin à travers l’arrêté interministériel n°023/MJL/SGM/DACPG/SA/023SGG19 et d’enjoindre à l’Etat du Bénin de rendre l’arrêté interministériel conforme aux exigences internationales en matière de droits humains. Les motifs avancés par l’arrêté interministériel n’étaient-ils pas fondés ?

Même si nous considérons que l’objectif recherché par l’arrêté est juste et vise à faciliter la mise en œuvre de la justice, les mesures prises sont disproportionnées par rapport à l’objectif recherché. La Cour argue que la présomption d’innocence se trouve méconnue si, sans établissement de la culpabilité judiciaire d’un individu, une décision judiciaire ou administrative reflète le sentiment qu’il est coupable. De même, la présomption d’innocence est violée lorsque des autorités, même non judiciaires posent des actes qui incitent le public à croire en la culpabilité des personnes poursuivies.

Mais ici, le refus de délivrance de ces actes qui ne résulte d’aucune décision judiciaire, engendre une perception de culpabilité des personnes « recherchées par la justice ». Cette perception est exacerbée par le fait que, selon l’article 3 dudit arrêté, la liste des personnes « recherchées par la justice » peut être consultée, par tous, sur le site du ministère de la Justice et de la Législation dont l’adresse y a été indiquée. Mieux, sous le nom de chaque personne « recherchée par la justice » est mentionné une infraction et, à côté une juridiction. Ces mentions à elles seules suffisent à inciter le public à croire en la culpabilité de ces personnes.

Il s’en suit donc que les motifs avancés ne sont pas véritablement fondés, car violent des droits fondamentaux.

La Cour constitutionnelle du Bénin après instruction et examen de votre requête a prononcé le 25 septembre 2020, une ordonnance de rejet des mesures provisoires que vous avez sollicitées. L’Etat béninois après avoir été informé de votre recours a demandé à la haute juridiction de constater que votre demande “n’invoque aucune situation de violation des droits de l’homme”. Quelles dispositions légales avez-vous prises en référence dans votre requête et qui pourraient peser contre cet argument de l’exécutif ?

L’Etat béninois a ratifié la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples et l’a intégré à sa loi fondamentale: la Constitution. Il a par la suite ratifié le protocole à la Charte portant création d’une Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples, et en déposant la déclaration attributive de compétence de la Cour, reconnait le droit pour les citoyens et les ONGs de saisir directement la juridiction. A la date de l’introduction de mon recours, cette déclaration de compétence déployait toujours ses effets.

Ayant épuisé les vois de recours internes et remplissant les autres conditions de saisine de la juridiction, c’est donc à bon droit que j’ai saisi la juridiction régionale. Évidemment, les droits violés sont garantis par la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples et d’autres instruments juridiques pertinents.

L’Etat béninois a tout de même défendu que son arrêt “n’entraine pas de déclaration de culpabilité” et moins encore, une quelconque “atteinte au droit à la présomption d’innocence”. Ces arguments ne vous ont-ils pas convaincu ?

A la réalité, et comme la Cour l’a dit et jugé, la présomption d’innocence signifie que toute personne suspectée ou poursuivie pour une infraction est supposée ne pas l’avoir commise; et ce, aussi longtemps que sa culpabilité n’aura pas été établie par une décision judiciaire irrévocable. Il s’ensuit que l’étendue du droit à la présomption d’innocence couvre toute la procédure allant de l’interpellation de la personne poursuivie jusqu’au prononcé de la décision.

Dans ces conditions, la présomption d’innocence se trouve être méconnue si, sans établissement de la culpabilité judiciaire d’un individu, une décision judiciaire ou administrative reflète le sentiment qu’il est coupable. De même, la présomption d’innocence est violée lorsque des autorités, même non judiciaires posent des actes qui incitent le public à croire en la culpabilité des personnes poursuivies.

Le raisonnement est donc clair. Les mesures prises par le gouvernement sont de nature à déclarer la culpabilité des personnes recherchées.

Sur cette insatisfaction, vous avez décidé d’aller plus loin en saisissant la Cour africaine le 4 aout 2020. Le temps pour l’instruction et la mise en examen de votre recours n’était-il pas un motif de désespoir sur l’issue défavorable que la requête pourrait encore avoir ?

Aucun désespoir. Aucune rancœur. La manifestation de la justice peut prendre du temps. Mais le temps n’altère pas la vérité. Les principes finissent par triompher.

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Les personnes visées par cet arrêt interministériel sont pour la plupart des acteurs politiques connus et identifiés au Bénin, comme des personnes en disgrâce avec le pouvoir du Président Patrice Talon. On pourrait suspecter sur la base de votre ténacité à avoir une issue en défaveur de l’Etat béninois, une certaine connivence avec ces derniers. Qu’en dites-vous? 

L’action dans l’espace public à pour corolaire, le soupçon d’être de connivence avec tels ou tels acteurs politiques. Mais pour moi, la seule chose qui mérite d’être défendue dans notre République, pour nous, pour les autres et par-dessus tout, pour la Nation, ce sont les principes. Ce sont les règles objectives qui définissent l’épanouissement de notre société. Ces règles, ce sont les droits humains. C’est eux qui méritent d’être défendus. Peu importe ceux qui jouissent des fruits de nos combats, aussi modestes qu’ils soient.

Pour tout dire, les actions de défense des droits humains, le contentieux stratégique des droits fondamentaux ne sont que des actions objectives, au seul bénéfice du respect des droits et libertés.

Près de trois ans après et précisément le mardi 13 juin 2023, la Cour africaine, après instruit le dossier et étudié les pièces versées, a débouté l’Etat béninois demandant. La juridiction continentale a notamment condamné le Bénin d’avoir violé le droit à la présomption d’innocence consacrée par l’article 7 et le droit à la nationalité protégé par l’article 5 de la charte et l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Quel a été votre ressenti quand la décision vous a été notifiée ?

Un ressenti distique. Du soulagement. Puis, de l’espérance. Le soulagement parce que cette décision intervient après 03 ans de combat, 03 ans de rédaction de mémoire et de conclusion afin de faire entendre ma raison, mais aussi 03 ans d’incertitude, parfois de peur devant la toute-puissance de l’État. Machiavel ne disait-il pas que l’État est un monstre froid qui broie tout sur son passage ?

Ce soulagement est encore plus jubilatoire, au regard du “dire” du juge africain. La Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples a dit et jugé que dans cette affaire, l’Etat du Bénin a violé la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples ( qui fait partie intégrante de notre Constitution). C’est une décision claire. Un motif décisoire soutenu mais basé sur le droit, dans sa posture substantielle.

Cette décision est donc un soulagement personnel pour moi. Mais aussi pour le groupe de défenseur des droits humains auquel j’ai l’honneur d’appartenir. C’est un soulagement pour Miguel HOUETO, Glory HOSSOU, Landry ADELAKOUN, mais aussi pour Fréjus ATTINDOGLO et Romaric ZINSOU. Mais surtout, et il me semble que c’est le plus important, c’est un soulagement pour toutes les personnes qui sont victimes de cet arrêté interministériel depuis bientôt quatre années.

Ensuite, un sentiment d’espérance. L’espoir malgré tout. L’espoir malgré le soupçon de non-respect de cette décision, au regard des récents développements des relations entre le Bénin et la juridiction africaine. L’espoir que cette décision sera respectée. L’espoir que nos dirigeants déposeront à nouveau, la déclaration attributive de compétence favorisant l’accès à ce juge aux citoyens béninois.

Enfin, l’espoir que notre juge constitutionnelle renaîtra de ces cendres, et de nouveau debout pour nous garantir nos droits et nos libertés, sans que nous ne soyons obligés de recourir à la justice internationale, elle qui nous offre de réelles perspectives.

La Cour africaine demande également à l’Etat béninois de prendre toutes les dispositions afin que l’arrêté ainsi querellé soit rapporté dans un délai de six mois. Espérez-vous que le Bénin qui aujourd’hui, n’est plus membre de la juridiction continentale pour avoir notifié son retrait en 2021 puisse s’exécuter ?

Le Bénin n’a jamais renoncé à la Cour. Le Bénin a retiré la déclaration attributive de compétence qui permet aux citoyens de saisir directement la juridiction. Mais la ratification de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples et son protocole portant création de la Cour sont toujours opposable à l’Etat béninois.

Mieux, ce retrait n’a aucun effet, ni sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant l’entrée en vigueur dudit retrait, soit le 26 mars 2021. C’est du moins ce qu’il faut retenir de la jurisprudence Houngue Éric Noudehouenou contre la République du Benin devant la cour.

Dans leur verdict, les juges ont indiqué que chaque partie devra supporter ses frais de procédure ? Sur quelle ligne allez-vous supporter les vôtres ?

S’investir dans le contentieux stratégique, pour un défenseur des droits humains, c’est un acte bénévole. En saisissant la Cour, je n’ai pas eu l’intention d’obtenir quelconque frais de procédure. Ce que j’ai demandé à la Cour, c’est de constater la violation des droits à la présomption d’innocence et à la nationalité et de prendre les mesures nécessaires. Cela a été fait. C’est le plus important.

Votre mot de la fin !

Je voudrais simplement dire qu’il est important pour nos dirigeants d’aujourd’hui, et davantage pour nous autres jeunes, de cultiver le respect de nos engagements, y compris en ce qui concerne les engagements que nous prenons au nom de nos Etats. C’est le gage d’une nation forte, dans lequel, le respect des droits est une effectivité.

Je voudrais aussi dire qu’il est nécessaire, en tant que citoyen de s’engager, de s’investir pour la nation, parfois en s’oubliant, en oubliant notre petite personne et nos intérêts du moment, au profit de l’intérêt général, de nos droits et libertés.  Si, dirigeants aujourd’hui, nous prenons des décisions qui méprisent les droits des citoyens, demain, quand nous ne serons plus là, ces droits seront rétablis. Servir la Nation en toute objectivité, avec le respect des droits humains comme repère doit devenir notre crédo.

Réalisation: Paul DANONGBE

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