[Enquête]: Cap sur le phénomène des filles mères ou mères célibataires au Bénin

Africaho
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Au Bénin, la récurrence d’un phénomène secoue les réalités sociologiques et matrimoniales depuis plusieurs années déjà. Dans presque toutes les villes du pays, existent des milliers de jeunes femmes de la vingtaine et plus, avec un enfant à charge, sans la présence effective du géniteur. Dans cette enquête, Africaho vous plonge dans l’univers “pitoyable” des «filles mères» encore connues sous l’appellation «blessées de guerre» au Bénin.

 

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Elles sont jeunes, pas mariées mais déjà mères. Plus connues sous l’appellation « filles-mères ou mères célibataires», ces jeunes femmes qui portent la charge d’un ou plusieurs enfants sont de plus en plus présentes dans nos sociétés. Et ici au Bénin, elles pullulent les rues et font partie intégrante de notre entourage. Seules, elles, sont pour la plupart confrontées à d’énormes difficultés. Entre les diverses pressions sociales et celles liées à la survie personnelle et même celui de leur enfant, l’existence de ces dernières est loin d’être un nid de confort.

«Blessées de guerre», c’est par ce qualificatif vulgaire et dégradant qu’elles sont le plus souvent désignées. Jeunes et parfois adolescentes, elles ont la charge d’un “rejeton” dont le géniteur refuse d’assumer la responsabilité ou même dont l’on ignore l’identité. Ces derniers disparaissent déjà dès l’annonce de la grossesse. Ainsi, livrées à elles-mêmes, les jeunes femmes font face à une réalité à laquelle elles ne s’étaient pas préparées.

Le regard de la société

Des préjugés aux regards accusateurs de la société, elles sont éprouvées et peinent à se faire accepter avec leur situation matrimoniale. Si certaines d’entre elles ont la chance de bénéficier de l’accompagnement de leurs parents, d’autres moins chanceuses se retrouvent seules devant toutes les responsabilités liées à l’entretien et aux charges de l’enfant. Seules sans la contribution d’une figure masculine ou paternelle pour inculquer à l’enfant une éducation vraie, ces “blessées de guerre” sont obligées de se mettre dans la peau de père pour éduquer leur enfant. Dès lors, les regrets et l’impression d’une vie gâchée sont nourris chez elles.

Dans le lot, Cherifath, une jeune maman de la vingtaine, étudiante sur le Campus d’Abomey-Calavi s’est confiée à Africaho. « Quand je suis tombée enceinte, j’étais encore très jeune, je venais à peine d’avoir 18 ans. Mes parents étaient très en colère quand ils ont appris la nouvelle. Mon chéri lui, était marié déjà et ne pouvait pas me prendre comme deuxième femme. J’ai du éduquer ma fille seule, jusqu’à ce qu’elle n’ait 6 ans aujourd’hui. Si c’était à refaire, je prendrais encore un peu temps pour avoir un mari comme je le mérite en tant que femme».

Le mépris observé à leur égard

En dehors de la déception d’une maternité précoce qui émiette leur espoir de trouver un homme qui les accepte telles, ces jeunes femmes font aussi face au quotidien, au mépris de la société. En effet, les filles mères semblent “déranger” par leur présence. Elles sont rejetées par une société qui voit en elles une indignité, une honte ou des filles de mœurs faciles. A Cotonou, comme à Abomey-Calavi ou encore à Porto-Novo, selon la conscience collective, une femme de valeur et de bonnes mœurs « n’ouvre pas ces jambes » au premier venu, et sans ficeler de façon claire les bases de la relation. Ainsi, elles sont mal appréciées sur la base de cette idée. Approchée par Africaho, Cynthia, une autre étudiante et mère d’un garçon de 3 ans et plus, a d’ailleurs confirmé cet état de choses. « J’étais écartée par mes propres amis qui me jugeaient. A l’école, pendant la pause et dans la cour, on me regardait comme si j’étais la personne la plus sale du monde. Les garçons ne m’approchaient plus. Dans la rue également, les gens me regardaient avec mépris. C’était du tout pas agréable », a-t-elle confié le moral visiblement amoché.

C’était pas facile d’assurer cette charge. J’avais pas de sources de revenues et pas d’emploi.

Bella

Les contraintes financières

Face à plusieurs défis tels que: le rejet de leurs parents, le regard accusateur de la société, mais aussi et surtout de l’absence généralisée des géniteurs, soit par incapacité ou par irresponsabilité, les blessées de guerre se retrouvent seules face aux charges liées à l’entretien de l’enfant. Pour Bella une jeune maman de 22 ans rencontrée à Jéricho (Cotonou), les difficultés sont énormes. «C’était pas facile d’assurer cette charge. J’avais pas de sources de revenues et pas d’emploi» livra t-elle. Par ailleurs si certaines peinent à tenir dans les conditions difficiles de vie qu’on leur connait, d’autres très tenaces et bien motivées assument leur situation de façon assez responsable et autonome. Même si pour des raisons de survie, nombre parmi elles sont frivoles, nombreuses sont celles qui font face à cette monoparentalité précoce. La plupart paie les frais d’une incontinence juvénile où, victimes de l’irresponsabilité des hommes qui ne sont pas prêts d’assumer leurs actes.

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Les sous-jacents du phénomène

Le tribunal public – la rue pour caricaturer – dresse un réquisitoire fondé sur une certaine inconscience de ces jeunes filles qui, à la recherche du gain facile, se laissent facilement berner par les hommes dont l’appétit sexuel est aussi, faut-il l’avouer est d’une voracité incirconscriptible. Cependant, d’autres voix évoquent tout le contraire. Pour Maman Affi, mère au foyer et revendeuse de divers produits à Dèkoungbé, les dessous d’une telle situation sont toutes autres. «Ce genre de chose arrive très souvent quand les bases de l’éducation sont mal posées. Une jeune fille sans contrôle et suivi parental aurait tendance à user à mauvais escient de la liberté dont elle dispose» a-t-elle affirmé en précisant que «la démission des parents dans l’éducation de leurs filles peut amener ces dernières à commettre l’irréparable», va-t-elle déclarer.

Les impacts et implications

Les impacts d’une telle situation sont déplorables. Allant des contraintes morales et financières, l’épanouissement non seulement de la mère, mais aussi de l’enfant est affecté. Le cadre familial n’étant pas présent, l’éducation de l’enfant serait à sens unique. Ce qui occasionnerait un déficit dans le développement psycho-affectif des enfants. De plus, le manque de moyens financiers conduit d’autres à la prostitution. C’est d’ailleurs la triste vie que sont obligées de mener, nombreuses parmi ces filles mères qui offrent le sexe à tout quidam dans le seul but d’avoir de quoi assurer les besoins de son enfant. De même, certains hommes conscients et convaincus de leur vulnérabilité en profitent pour leur asséner des coups de hanche à vau-l’eau, comme si elles étaient de vils objets manipulables à volonté.

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Leur réinsertion dans un foyer normal

Une véritable équation à plusieurs variables; difficile à résoudre. Comme cela a toujours été dans les coutumes traditionnelles, l’accomplissement d’une femme n’est pas distincte de sa vie couple et de femme au foyer. La difficulté donc pour une jeune femme qui a déjà un enfant de fonder un foyer n’est plus à démontrer. D’une part, déjà que ces femmes n’ont pas pu se conformer aux étapes de la dot et du mariage, les hommes sont peu favorables à s’engager en vrai avec elles, en dehors des plus audacieux qui dominent le regard de la société quise font davantage d’ailleurs rares de nos jours. Ils ne s’en approchent pour la plupart, que pour assouvir leurs désirs sexuels. D’autres parts, certaines parce qu’elles ont été marquées à vie par une expérience amoureuse douloureuse, vouent simplement un dédain et une haine viscérale au géniteur de leur enfant. Ce sont également celles-là qui maudissent à tout vent la gent masculine en général. Elles se retrouvent donc dans l’incapacité de fonder un ménage.

Le rôle de la société

Face à ce tableau, le devoir de la société dans une communauté de plus en plus exposée à de gros dangers éducationnels devient davantage insistant. Les parents proches, pour ce qui les concerne, sont appelés à prendre sérieusement à cœur, ce phénomène qui fait de nombreuses victimes dont les filles abandonnées à leur sort et les enfants à moitié éduqués. Les autorités à travers divers programmes de sensibilisation du Ministère de la famille par exemple sont également priés de renforcer les mesures d’assistance sociale à l’enfant et la mère. Il urge de circonscrire le mal et penser à la réinsertion familiale de ces nombreuses filles qui pullulent nos villes sans réel encadrement.

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