Le Togo traverse une phase de turbulence politique depuis l’adoption en avril dernier d’une nouvelle Constitution passant d’un régime présidentiel à un régime parlementaire, où le président est désigné par le Parlement, et le véritable pouvoir confié au président du Conseil qui n’est rien d’autres que le président Faure Gnassingbé au pouvoir depuis 2005. Une révision contestée qui a cristallisé le ras-le-bol populaire, nourri par une jeunesse togolaise en souffrance, soumise à la cherté de la vie, la répression croissante et le sentiment de confiscation du pouvoir.
Tout commence à la suite de dénonciations perlées de Togolais de la diaspora qui ont investi les réseaux sociaux pour appeler à la fin du régime de Faure Gnassingbé. À la fin mai, l’arrestation à son domicile du rappeur engagé Aamron, connu pour ses vidéos de dénonciation sociale, a mis le feu aux poudres . Interpellé à 21 h le 26 mai, interné dans un hôpital psychiatrique et contraint à un mea culpa médiatisé, sa détention a suscité l’indignation.
Libéré le 21 juin , sans poursuite judiciaire engagée, selon son avocat , sa libération n’a pas calmé les esprits, bien au contraire. Dans la nuit du 5 au 6 juin, jour de la Tabaski et de l’anniversaire de Faure Gnassingbé, des mouvements de manifestations ont éclaté à Lomé, notamment à Akodésséwa, Bè, Dékon. Les slogans “Libérez Aamron” et “Retour à la Constitution de 1992” se sont mêlés à des appels au départ du régime. Des jeunes, souvent désorganisés et non affiliés aux partis traditionnels, ont investi les rues pour la première fois depuis longtemps.
En face, des forces de l’ordre qui ont riposté avec des gaz lacrymogènes, matraques et bannalisations de journalistes tentant de couvrir les évènements. L’opposition et la société civile estiment que des arrestations arbitraires, parfois assorties de violences, ont eu lieu, et réclament une enquête internationale.
Le collectif « Togo Debout », tel que rapporté par Africaho, parle de sept morts, victimes de « forces de l’ordre et milices » ; l’Église catholique et les observateurs soulignent quant à eux, l’usage disproportionné de la force contre un mouvement dépourvu de leader et confiné dans les quartiers populaires
Le régime parlementaire mis en accusation
Au cœur de la contestation se trouve la réforme constitutionnelle instaurée en mars‑mai 2024. Ce régime, selon ses détracteurs, viserait à consolider la mainmise de Faure Gnassingbé : après avoir promulgué la Constitution, il a prêté serment en tant que président du Conseil des ministres le 3 mai 2025, devenant de facto le chef du gouvernement tout puissant
Pour les manifestants, ce régime ne garantit ni la séparation des pouvoirs, ni la représentativité démocratique : le président du Conseil – en l’espèce, l’actuel chef de l’État – serait directement issu du Parlement sans consultation populaire, ce qui nourrit une suspicion de permanence du pouvoir familial .
Face à la contestation, le gouvernement a condamné les appels à la violence diffusés sur les réseaux, et mis en garde contre le non-respect de la nouvelle loi limitant les manifestations depuis 2022. Les autorités insistent sur la nécessité de préserver l’ordre public et menacent de poursuites judiciaires en cas de diffusion de contenus incitant à la haine ou aux délits
Les attentes d’une jeunesse en quête de renouveau
Désabusée par l’absence de débats publics, la montée des inégalités et l’extension du pouvoir de la famille Gnassingbé, la jeunesse revendique un retour à la Constitution de 1992, avec un président élu au suffrage universel et des mandats limités.
Elle réclame aussi des enquêtes transparentes sur les violences policières, la libération des détenus d’opinion et une véritable transition vers la démocratie.
Le régime parlementaire est perçu comme un écran de fumée politique, une mécanique institutionnelle utilisée pour légitimer la prolongation du pouvoir sans vote populaire. La société civile, les partis d’opposition et les églises exigent l’organisation d’un référendum populaire pour cette réforme, une enquête internationale sur les violences et un dialogue national inclusif. Certains acteurs vont plus loin : ils demandent la démission de Faure Gnassingbé.
À Lomé, la mobilisation ne faiblit pas, malgré les mises en garde des autorités et la riposte musclée des forces de défense et de l’ordre. Quelle va être l’issue de ce bras de fer gouvernement-citoyens ? Les prochains jours et semaines et mois vont sans doute nous édifier.