Nourou-Dine Saka Saley, membre du parti de l’opposition Les Démocrates s’est confié à Africaho sur la fin de règne du président Patrice Talon à la tête du Bénin depuis 2016, son bilan, son héritage et la participation de l’opposition aux élections générales de 2026. Le juriste et analyste politique à la parole rare, n’a pas occulté sa candidature à l’investiture du parti Les Démocrates pour la présidentielle du 12 avril 2026. Entretien.
Nourou-Dine Saka Saley brise le silence sur l’ère Talon et les élections générales de 2026
Africaho : Le Bénin célébrera le 1er août prochain ses 65 ans d’indépendance. Ce sera également, sauf « changement spectaculaire », le dernier discours du Président Patrice Talon en tant que Chef de l’État au Bénin. Quelles sont vos attentes vis-à-vis de cette prise de parole solennelle ?
N’attirons pas les mauvais karma sur nous en parlant de revirement spectaculaire, et cultivons plutôt le sens de la continuité du respect historique et traditionnel des prédécesseurs du Président Talon à cette fonction.
Nous nous sommes éloignés de la nation béninoise avec le temps. Le dernier discours du Président de la République à l’Assemblée nationale en fin d’année 2024, a semblé consacrer la partition des fils et filles du Bénin en deux clans: celui présumé des « compétents » qui sont avec le Président Talon (qui étaient curieusement également avec le Président Yayi Boni à son époque) et celui présumé des « incompétents et vendeurs d’illusion » qui sont aujourd’hui, d’après le Président Patrice Talon, autour du président Yayi au sein de l’opposition.
Mon vœu le plus cher est que de tels discours de partition du pays en clans et camps n’existe plus jamais.
Pour le reste, je crois que les couleurs sont déjà connues et il ne faut attendre aucun changement ou surprise époustouflante sur les attentes chaque année renouvelées par les populations concernant les prisonniers et exilés politiques, si c’est ce que recouvre discrètement votre question. Désolé dans ce cas de vous ramener à l’évidente mais douloureuse réalité.
Le Président Patrice Talon devrait aussi penser au cadre institutionnel qui lui a permis de venir réaliser ce dont il est aussi fier. Ce système institutionnel de libre compétition qui ne permet pas d’empêcher des personnes d’apporter leur pierre à l’édification de notre commun pays. C’est à mon sens, le seul héritage de gratitude et d’honnêteté dont il serait débiteur pour une nation plus juste à l’avenir.
Nourou Dine Saka Saley
Africaho : Au terme de deux mandats, quel Bénin le Président Talon laisse-t-il, selon vous, en héritage aux générations futures ?
Comme tout ses prédécesseurs, le Président Patrice Talon va nous laisser en héritage un Etat avec ses avancées, mais aussi ses échecs et réajustements, avec ses infrastructures nouvelles en phase avec notre époque comme c’était le cas des époques passées, avec ses mutations et ses nouveaux challenges liés aux relations et interactions avec son environnement sous régional et mondial, et plus généralement avec ses hommes et femmes nouveaux.
En 10 ans de gestion, beaucoup a été bien, mal et peu fait à la fois.
Mais par contre le Président Patrice Talon devrait aussi penser au cadre institutionnel qui lui a permis de venir réaliser ce dont il est aussi fier.
Ce système institutionnel de libre compétition qui ne permet pas d’empêcher des personnes d’apporter leur pierre à l’édification de notre commun pays.
C’est à mon sens, le seul héritage de gratitude et d’honnêteté dont il serait débiteur pour une nation plus juste à l’avenir.
Africaho : Quel type de pays l’opposition, et en particulier votre parti, Les Démocrates, souhaite-t-elle proposer en alternative à ce bilan ?
J’espère que vous le souhaitez pas à notre pays de continuer à être un pays divisé en pro et contre un tel dirigeant ou un autre.
J’espère que nous partageons le vœu d’un pays où l’émulsion des idées, l’expression des idées la liberté d’expression avec responsabilité, un pays où nous n’avons plus peur d’aller dans les hôpitaux parce que nous n’avons pas les moyens…
j’espère que vous rêvez de la même chose pour notre pays, et dans ce cas, ce n’est pas seulement l’opposition qui souhaite quelque chose de beaucoup plus vivable pour notre pays.
Ce n’est donc pas une responsabilité qui incombe à l’opposition seulement.
Il serait injuste de réduire ce vœu seulement à une revendication politique entre opposition et mouvance, parce que le béninois lambda est préoccupé et impacté par le meilleur devenir de notre nation.
Aujourd’hui ce vœu est fait et porté par l’opposition principalement, parce qu’apparemment nous avons l’impression que du côté de ceux autour du Président Talon, le Bénin va bien de manière absolue. Ce qui n’est pas honnête. Et il est de la responsabilité de tout béninois de revendiquer le mieux pour tous.
Africaho : Dans votre parcours personnel, vous avez récemment annoncé votre candidature à l’investiture des Démocrates pour la présidentielle de 2026. Quelle a été la réception de cette annonce au sein de votre parti ?
Le processus de déclaration des candidatures n’est pas encore ouvert au sein du parti, donc il n’était pas attendu une réponse particulière à ce stade, mais je puis vous rassurer que l’information est passée, et même bien passée.
C’est donc plutôt une déclaration d’intention qui a été faite avec la petite nouveauté que j’ai proposé une méthode d’assurer la transparence dans le choix de nos candidats à l’élection suprême.
Ce n’est pas une pratique habituelle, et vous convenez avec moi qu’une réponse hasardeuse ou non réfléchie serait suicidaire.
Les textes de notre parti ne prévoient ou n’interdisent de manière claire et express aucun processus particulier, ce qui me laissait la possibilité, le droit et je dirais même le devoir, de proposer à mon parti ce qui pourrait nous permettre d’obtenir une adhésion beaucoup plus franche et entière au choix qui sera fait, plutôt qu’une adhésion par défaut et résignation, au regard de la grande attente de la majorité du peuple comme vos curiosité et questionnements le trahissent justement.
Africaho : Où en est aujourd’hui le processus de désignation du duo présidentiel au sein de votre formation politique ?
Les instances dirigeantes du parti seraient mieux à même de répondre à votre question plutôt que moi qui n’en suis pas membre.
Mais il est de notoriété publique qu’aucun acte matériel déclenchant le processus n’a encore été fait par le parti.
Africaho : Dans le cas où vous ne seriez pas investi, serez-vous pleinement engagé dans la campagne du candidat désigné par le parti ?
Il n’y a pas de raison de poser cette question ou de douter d’un engagement plein et entier d’un militant, si le processus a été transparent et équitable.
Africaho : Le Secrétaire à la Communication de votre parti a déclaré que l’investiture d’un candidat externe n’était pas exclue. Que pensez-vous de cette éventualité ?
Le parti s’inscrit dans une dynamique d’extension aux autres forces politiques de l’opposition, notamment à travers un cadre de concertation qui peut se retrouver être une coalition à terme.
C’est peut-être dans ce sens que le secrétaire à la communication à émis cette hypothèse, il faudra vous rapprocher de lui pour vous éclairer au besoin.
Mais je maintiens qu’il faut que le processus de désignation soit transparent et équitable.
C’est pour moi les seules condition (de base, de fond et de forme) qui vaillent dans la désignation des candidats du parti à toutes les élections, pas seulement à la présidentielle, auxquelles nous sommes amenés à participer.
Le parrainage est entre autres, une mesure que je trouve d’ailleurs inadaptée culturellement et politiquement à nos habitudes électorales.
Nourou Dine Saka Saley
Africaho : Le camp Talon, aujourd’hui « grand » de plusieurs formations politiques autres que celles présentes à l’Assemblée nationale affiche un certain optimisme à une continuité après 2026. Le président lui-même a dit qu’il sera très actif dans le choix de son successeur. Avec се tableau, ne serait-il pas plus raisonnable pour l’opposition de se mettre autour d’un duo candidat au lieu d’aller aux élections en rangs dispersés ?
Je vais vous rappeler qu’en 2016 l’opposition en rang dispersé, forte de plus d’une vingtaine de candidats, a remporté l’élection présidentielle face à la mouvance rassemblée autour du candidat Lionel Zinsou, premier ministre, avec le Président de lq République, comme soutien et acteur principal de la campagne, avec la coalition politique la plus forte jamais organisée en République du Bénin.
C’est vous dire que des fois le rassemblement peut ne pas être productif, lorsque l’adhésion n’est pas franche et entière.
Au-delà, le cadre institutionnel aujourd’hui me permet qu’un rassemblement autour du Parti Les Démocrates qui est celui institutionnellement apte à porter un candidat en raison de la question du parrainage.
Le parrainage est entre autres, une mesure que je trouve d’ailleurs inadaptée culturellement et politiquement à nos habitudes électorales. Pour preuve en 2021 au moins 16 maires et/ou députés ont parrainé un duo qui n’a pas franchi les 3% du faible nombre d’électeurs qui s’est porté aux urnes dans le contexte de crise mortifère que nous avons vécu.
Africaho : Un récent communiqué de Ganiou Soglo a dénoncé ce qu’il estime être une instrumentalisation de la figure de son père. Plusieurs réactions ont suivi cette déclaration dont celle du gouvernement à travers son porte-parole Wilfried Léandre Houngbédji. Quelle lecture faites-vous de tout ceci ?
Je ne crois pas que Ganiou Soglo ait de leçons de vie de famille ou de responsabilité à recevoir de quiconque au Bénin, quelles que soient sa fonction et sa place institutionnelle.
La décence humaine interdit même de trouver à redire sur la décision d’un fils appelant au respect de la dignité de son père.
Africaho : En tant que juriste, pourquoi, selon vous, les lois électorales en Afrique francophone – surtout à l’approche des scrutins majeurs – sont-elles si souvent source de confusion, voire de crise? Quelles pistes de réforme durable recommanderiez-vous ?
Payez moi une consultation pour cette question très intéressante, que j’ai d’ailleurs déjà développée lors d’une de mes interventions au colloque des 30 ans de la Constitution de notre pays en 2020.
(Sourires)
Merci Africaho de l’intérêt que vous portez à ma personne.
Réalisation : Paul Danongbe – Marturin Atcha