Le musée Albert-Kahn, à Boulogne-Billancourt à Paris, consacre jusqu’en juin 2026, une vaste exposition au Dahomey des années 1930, dans le but d’offrir au public un rare témoignage visuel sur le territoire aujourd’hui devenu le Bénin. Sous le titre « Bénin aller-retour, regards sur le Dahomey de 1930 », l’institution réunit des centaines de clichés et de films tournés à l’époque grâce à une expédition singulière.
Au musée Albert-Kahn, le Dahomey de 1930 ressurgit en images et en couleurs
Le Bénin d’aujourd’hui revisité sur les années 1930 au musée Albert-Kahn à Paris. Au cœur de ce projet se trouvent deux hommes : Frédéric Gadmer, opérateur chargé de manier caméras et dispositifs d’autochromes en couleur, et le père missionnaire Francis Aupiais, figure déroutante de la période coloniale. Envoyé pour évangéliser, Aupiais se passionne rapidement pour la culture dahoméenne, allant jusqu’à s’immerger dans les pratiques religieuses vodun, bien loin des préjugés des Européens de son époque.
Cette mission de 1930 n’aurait toutefois pas vu le jour sans le soutien financier du mécène Albert Kahn, soucieux de documenter les sociétés du monde avant les bouleversements induits par la modernité. Officiellement, l’objectif était de réaliser un inventaire visuel des œuvres missionnaires au Dahomey. Mais, dans les faits, Aupiais poursuit un projet bien plus ambitieux : immortaliser les pratiques royales, cérémonielles et cultuelles locales afin de démontrer leur complexité et leur dignité.
Pour les commissaires de l’exposition, cette démarche est essentielle pour comprendre le double rôle du missionnaire. À la fois acteur de la colonisation et défenseur passionné des cultures africaines, Aupiais adopte une approche quasi militante. En documentant minutieusement cérémonies vodun, rites funéraires et processions royales, il entend prouver que la société dahoméenne possède une sophistication incompatible avec les théories raciales qui dominaient alors en Europe.
Des artistes béninois sous les projecteurs
L’exposition ne se limite toutefois pas à une présentation archivistique. Les équipes du musée ont souhaité interroger la manière dont ces images — produites dans un contexte colonial — résonnent aujourd’hui. Pour cela, elles ont invité sept artistes béninois et africains, parmi lesquels Ishola Akpo et Roméo Mivekannin, à proposer des œuvres contemporaines en dialogue critique avec les archives. Tableaux, installations, vidéos : autant de créations qui repensent le regard occidental et réintroduisent la voix des héritiers de ces cultures.
Une collaboration scientifique avec des chercheurs béninois a par ailleurs permis de restituer ces documents dans leur contexte historique. Les milliers d’images — 1 102 clichés et 140 bobines de films — sont désormais accessibles en ligne, prolongeant l’exposition au-delà des murs du musée et offrant au public international une plongée immersive dans le Dahomey d’avant l’indépendance.
En redonnant vie à ces archives et en les confrontant aux regards d’aujourd’hui, le musée Albert-Kahn propose une réflexion profonde sur la mémoire, la représentation et la transmission culturelle. Un voyage qui, près d’un siècle plus tard, révèle toute la richesse et la complexité d’un patrimoine longtemps méconnu.
