Le Togo sous la coupe du « nouveau » Faure : des avis partagés dans les rues de Lomé

Paul Danongbe
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Faure Gnasssingbé investi Président du Conseil des ministres au Togo.

Faure Gnassingbé, président du Togo depuis 2005, devient président du Conseil des ministres, nouvelle fonction exécutive suprême du pays. Une transformation quasiment « inédite » rendue possible par la réforme constitutionnelle votée en 2024, instaurant un régime parlementaire où la présidence de la République devient purement honorifique. Mais dans les rues de Lomé, comme à Kara ou Sokodé, Africaho constate que cette transition institutionnelle suscite continuité et inquiétudes.

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C’est désormais officiel ! Pour la première fois depuis l’indépendance, le Togo entre officiellement dans une nouvelle ère institutionnelle avec l’instauration d’un régime parlementaire. Le président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005 après le décès de son père Eyadema Gnassingbé, devient président du Conseil des ministres, une fonction nouvellement créée dans le cadre de la réforme constitutionnelle adoptée en mars 2024. Ce poste – selon la nouvelle constitution – concentre désormais l’essentiel du pouvoir exécutif, alors que la présidence de la République devient symbolique et visiblement vidée de toute sa substance en termes de pouvoir exécutif.

Le chef de l’État perd ses prérogatives exécutives, au profit d’un président du Conseil des ministres désigné par l’Assemblée nationale. Dans ce nouveau cadre, Faure Gnassingbé a naturellement été choisi par son parti, l’Union pour la République (UNIR), majoritaire à la fois à l’Assemblée et, depuis mars 2025, au Sénat nouvellement instauré.

Le Premier ministre sortant, Victoire Tomégah-Dogbé, quitte donc ses fonctions, tandis que l’ancienne présidence se vide de ses pouvoirs. En apparence, cette réforme semble répondre aux attentes d’une modernisation de l’appareil d’État. Mais ce basculement vers un régime parlementaire – salué comme une avancée par certains, critiqué comme une manœuvre politique par d’autres – soulève une question essentielle : s’agit-il d’un réel changement démocratique ou d’un simple déplacement stratégique du pouvoir au profit d’un homme déjà omniprésent dans la vie politique nationale ? Dans les rues de Lomé ce lundi 5 mai 2025, l’atmosphère semble bien apaisée, mais dans les cœurs subsistent diverses positions.

Africaho est allée à la rencontre de plusieurs citoyens à Lomé pour recueillir leurs réactions à chaud. Leurs voix reflètent des sentiments divers, souvent teintés de lucidité mais surtout de prudence. D’ailleurs, la plupart des quelques citoyens qui ont pris le challenge de se prêter à l’exercice ont préféré réquérir l’anonymat ou de ne donner que leur prénom.

Des citoyens divisés sur la 5ème République au Togo

Awa, secrétaire Aablogamé à Lomé, se montre sceptique :

« On nous parle de changement, mais on voit toujours les mêmes visages. Pour moi, c’est juste une autre manière de garder le pouvoir. Le costume change, mais c’est toujours le même homme dedans. »

Pour Kossi, jeune diplômé en droit constitutionnel, le regard est plus nuancé :

« La réforme en elle-même est moderne et bienvenue. Ce qui compte, c’est l’application concrète. Si M. Gnassingbé s’en sert pour réformer profondément le pays et mieux répartir les responsabilités, alors pourquoi pas. Mais il faudra une vraie séparation des pouvoirs pour que cela fonctionne. »

À Kara, fief historique du pouvoir, Ayité, conducteur de véhicule administratif, contacté par appel téléphonique, insiste sur la stabilité :

« Il faut reconnaître qu’avec lui, il y a une certaine paix. Les routes sont construites, les écoles sont ouvertes. Tant qu’on peut nourrir nos familles et que le pays est calme, moi je n’ai pas de problème. »

À l’opposé, Akouété, enseignante dans un lycée public à Lomé, appelle à une ouverture du jeu politique :

« Le Togo a besoin de sang neuf, pas seulement de nouvelles lois. Il est temps de donner la place à d’autres générations, à d’autres visions. Sinon, cette réforme n’est qu’un habillage. »

Le flou sur « l’après et l’encore Gnassingbé »

Si cette réforme semble techniquement ouvrir la voie à une alternance, plusieurs analystes estiment que l’architecture actuelle verrouille encore fortement le système. Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 20 ans, garde un contrôle étroit sur les principales institutions du pays : armée, parti majoritaire, Parlement et désormais l’exécutif parlementaire. Cette nouvelle fonction pourrait, selon certains observateurs, prolonger encore sa longévité politique sans nécessité de passer par les urnes présidentielles.

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En effet, rien dans la nouvelle Constitution n’interdit un président du Conseil des ministres d’enchaîner les mandats tant qu’il bénéficie de la majorité parlementaire – une configuration que l’UNIR maîtrise parfaitement.

Le régime a créé trop de frustrations, de tribulations et d’exactions au sein de la population depuis des décennies, mais le remplacement de la Constitution sans consulter le peuple est la goutte d’eau de trop.

Nathaniel Olympio

Carrefour de la Paix, à Bè à Lomé ce lundi 5 mai 2025. @Africaho

L’opposition contre, mais « profondément divisée »

Déjà affaiblie dans le pays, l’opposition face au régime qui affirme vouloir moderniser les institutions dénonce cependant une manœuvre pour prolonger indéfiniment le pouvoir de Faure Gnassingbé. En effet, l’opposant Ouro-Akpo Tchatikpi, l’une des figures des manifestations coordonnées à travers le pays en 2017, a exprimé de vives critiques sur la révision constitutionnelle opérée par les autorités togolaises. Interrogé par BBC Afrique, il affirme que cette réforme n’a pas été menée « dans les règles de l’art aussi bien sur la forme que dans le fond ».

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Sur le plan procédural, il pointe du doigt l’irrégularité du mandat des députés ayant adopté la Constitution de la 5e République. Selon lui, ces élus n’étaient plus légitimes au moment du vote : leur mandat était « déjà expiré quelques mois auparavant ».

Sur le fond, Tchatikpi estime que le changement constitutionnel constitue une transgression des textes en vigueur. Il évoque notamment l’article 59 de l’ancienne Constitution qui stipule que : « Le président de la République est élu au suffrage universel, libre, direct, égal et secret pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être modifiée que par voie référendaire ». Or, déplore-t-il, cette règle fondamentale aurait été contournée par une adoption parlementaire, sans recours au vote populaire.

Une mobilisation citoyenne appelée par l’opposition

Nathaniel Olympio, figure bien connue de la scène politique, parle pour sa part d’un chaos institutionnel. « C’est un désordre politique qu’a créé le régime », affirme-t-il, soulignant que l’opposition compte désormais s’appuyer sur la mobilisation citoyenne pour obtenir l’abrogation de la réforme. Il insiste sur la nécessité de maintenir la pression populaire : « Notre rôle en tant que leader d’opinion est de continuer inlassablement à maintenir vivace la flamme de la contestation, vaille que vaille », ajoute-t-il.

En parallèle, plusieurs organisations se joignent à la protestation. Outre le mouvement de Nathaniel Olympio, le principal parti d’opposition ANC, son allié FDR, ainsi que des structures de la société civile telles que le Front citoyen Togo Debout, projettent par ailleurs des manifestations à travers le pays pour contester la légitimité de cette 5e République.

Cependant, une interrogation subsiste parmi les observateurs politiques : pourquoi ces multiples actions ne s’inscrivent-elles pas dans une stratégie d’union, afin de créer un front commun plus puissant face au régime en place ? Pour beaucoup, l’absence de coordination stratégique pourrait affaiblir le potentiel de changement réclamé par les opposants.

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