Qu’y a-t-il de commun entre Paris en France et Covè au Bénin ? Que pourraient partager Los Angeles aux Etats-Unis avec Gao au Niger ? Le point commun de tous ces milieux c’est qu’ils disposent chacun au moins d’un cimetière. Une ville ou un village ne peut pas disposer d’une école ou d’un hôpital. Cependant, il n’y a vraisemblablement pas de village ou de ville sans cimetière.
Dans toutes les communautés humaines, il y a une réalité de la mort, une conscience de la mort, une culture de la mort, une culture autour de la mort et une culture de la mort. La mort est au cœur de la vie sociale. La mort cohabite avec la vie. Il n’y a pas de société humaine sans comptabilité de la mort. La mort à son étalage où chacun doit passer. Sans distinction de sexe, d’âge, de couleur, de statut social, de religion, tous les hommes sont au même pied d’égalité devant la mort. Pour le riche comme pour le pauvre, la mort vient fermer le rideau.
L’idéal de l’égalité est prôné et recherché par quasiment toutes les sociétés. Mais la vie nous distribue et nous répartit différemment. Il existe ainsi des plus doués ; il existe des plus chanceux. Il y en a de plus riches. Il y en a de plus beaux et de plus forts. Par contre, d’autres sont moins favorisés. Ils ne sont pas nés prince ni roi. Ils n’ont hérité ni de terre ni de bétail. Ils n’ont ni action ni capital. D’autres même n’auront pas la chance de se vanter d’avoir reçu les faveurs de la nature. La vie à chaque tournant ne cesse de rappeler que nous sommes si différents, si diversifiés, si inégaux. Hier comme aujourd’hui, et sans doute demain encore plus, les disparités n’auront jamais été si parlantes, si criantes. Malgré cela, l’égalité entre tous les hommes est professée.
De la même façon qu’il existe des gros et des minces, des courts de taille et des grands de taille, des Blancs, des Noirs, des Jaunes, etc, la vie distribue inégalement ses fortunes et ses infortunes. Quoique puisse être la profession de foi d’une nation à promouvoir l’égalité entre les Hommes, les conditions matérielles ne cesseront de rappeler que dans la vie il n’y a point d’égalité. La sagesse des anciens n’enseigne-t-elle pas que les doigts de la main ne sont pas tous égaux !
Cependant, ce que la vie n’a pas réalisé, la mort le réalise de façon extraordinaire. Et dire qu’il faut qu’advienne la mort pour qu’on se rende compte qu’au final nous sommes tous égaux !
La mort ramène tous les compteurs à zéro. Du premier au dernier dans la vie, la mort ramène tout le monde au même point de départ (ou d’arrivée). Cette égalité tant recherchée dans la vie sociale se pointe ironiquement dans la mort. Nous sommes inégaux dans la vie mais tous égaux devant la mort. La mort fait asseoir le riche et le pauvre, le prince et le mendiant à la même table.
Un riche mort n’est pas différent d’un pauvre mort. Un roi mort ne s’étale pas mieux qu’un esclave mort. La mort qui frappe l’universitaire n’est pas plus savante que celle qui fauche l’ignorant. Un Blanc n’est pas plus confortable dans la mort qu’un Noir. Pour couronner le tout, observez cette cohabitation paisible des corps dans les morgues et dans les cimetières. Tous les corps pourrissent de la même façon et relativement au même rythme. Et pour ceux qui ne le savent pas, « les dents sont les derniers restes à disparaître » (Ruffié, 1986). C’est une égalité parfaite. Jacques Ruffié le dit fort bien à propos en parlant d’égalité terminale : « Du plus riche au plus pauvre, du plus instruit au plus inculte, nous suivons tous le même chemin. Après l’agonie, le corps d’un académicien, d’un prix Nobel n’a pas une autre destinée que celui d’un paysan ou d’un travailleur immigré. Chacun connaît la même décomposition putride. »
La mort ne convient avec personne en raison de son titre avant de le prendre. Au chapitre de la mort, l’équation est simple : une âme = une vie = une mort. Nous sommes tous égaux.
Cette égalité devant la mort devrait nous conduire à repenser nos inégalités dans la vie. Si donc à la fin nous sommes tous égaux devant la mort, relativisons nos différences en étant vivants, car comme le disent les Ecritures « Vanité des vanités, tout est vanité » (Ecclésiaste 12 : 10).