[Entretien] Bénin: orientation des bacheliers, Educ-Afrique relève les insuffisances du système éducatif

Paul Danongbe
Lecture : 14 min
Barnabé Kouelo, Promoteur de l'Ong Educ-Afrique. @Médias locaux

Spécialiste des questions éducatives et essayiste, Banarbé Kouelo a donné sa lecture sur l’orientation universitaire des nouveaux lauréats du Baccalauréat (BAC). Dans un entretien accordé à Africaho, le Responsable de l’Organisation Non Gouvernementale (ONG), Educ-Afrique, a invité les nouveaux étudiants à aller vers des formations diplômantes.

 

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Africaho: M. Kouelo, vous menez un combat sur ce que vous avez souvent l’habitude d’appeler, « mauvaise orientation des bacheliers ». Quelle est votre lecture sur les différentes journées d’orientation des nouveaux bacheliers organisées au Bénin ?

Banarbé Kouelo: Au Bénin, les journées d’orientation qui sont organisées çà et là, sont à 98% vides de sens, obsolètes, surannées, incompatibles avec les réalités de notre époque en particulier les besoins, enjeux et défis de notre pays. 99,99% de ces journées d’orientation sont animées par des personnes qui ne maîtrisent pas les fondamentaux et qui le font juste pour faire la promotion de leurs universités, leurs centres. Les nouveaux bacheliers à la sortie de ces séances n’ont aucune idée de la réalité du terrain. Un diagnostic sincère et réaliste du système éducatif en particulier des formations données dans nos universités; le nombre des aînés détenteurs de Licence et de Master qui sont à la maison ( plus de 30.000 par filière à ce jour); l’existence ou non de débouchés après formation, les Filières Créateurs de Chômage (FCC), les enjeux à venir; les réels besoins ou problèmes de notre pays, les vrais secteurs pourvoyeurs d’emploi et de création de richesses; les erreurs à ne pas faire en tant que nouveau bachelier du 21è siècle; autant de questions qui ne trouvent aucune réponse objective dans les journées d’orientation. La première cause du chômage criard des diplômés reste et demeure l’orientation, le chemin emprunté, les choix effectués, la formation effectuée. Je donne tout simplement une note de 5/20 aux journées d’orientation que nous avons au Bénin à ce jour.

Africaho: Si vous trouvez que l’orientation universitaire est presque nulle au point où, vous lui attribuez la note de 5/20, à partir de quelle classe devrait-on normalement, commencer par penser à l’orientation Universitaire?

Banarbé Kouelo: L’orientation universitaire commence depuis notre maternelle I jusqu’en classe de terminale. Au Bénin, c’est après l’obtention du Bac que 90% des nouveaux bacheliers_y compris moi-même_se posent la question de ce qu’il faut faire après le Bac.  Actuellement, j’ai plus de 500 messages venant des nouveaux bacheliers et parents tous formulés de la même façon: «Monsieur Banarbé, j’ai le Bac mais je ne sais pas ce que je vais faire, aidez-moi (…)» , « Monsieur Barnabé, aide-moi à orienter mon enfant il vient d’avoir le Bac (…) ». Selon les statistiques les enfants de 7 à 12 ans en Amérique sont orientés et si vous leur posez des questions relatives à leur orientation, ils vont vous répondre avec aisance, facilité, assurance, et une précision sans faille. Je vous raconte une anecdote.

En décembre 2019 à l’Université d’Abomey-Calavi, j’ai posé cette question à la fin d’une communication à un groupe d’étudiants en 3è année (des étudiants en fin du cycle Licence) de Comptabilité et de Gestion, de Géographie et de Chimie-Biologie-Géologie (CBG) : quel est votre avenir d’ici 3 à 5 ans ? Sur 10, 8 n’avaient aucune idée des réponses à donner. Ils ont ouvertement affirmés qu’ils n’ont aucune idée. Les 2 qui avaient répondus ont plus ou moins une idée de l’avenir mais restent dubitatifs, pas comme les enfants de 7 à 12 ans en Amérique. C’est la preuve même de l’échec total parlant de l’orientation.

Sous nos cieux, c’est après 25 à 27 ans que les jeunes se rendent compte qu’ils sont mal orientés et qu’il faut maintenant aller vers une orientation capacitaire et intrinsèque, une orientation selon sa passion, talents, atouts et beaucoup d’autres critères. L’orientation universitaire normale qui se veut productive,  doit commencer à partir de la classe de 5è avec pour appui, des critères et facteurs précis.

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Africaho: Vous venez d’évoquer des critères et facteurs précis qui devraient servir de boussole pour améliorer l’orientation universitaire. Comment pensez-vous que l’orientation devrait-être effectuée pour améliorer les performances ?

Banarbé Kouelo: Est-ce que quelqu’un doit d’abord nous dire comment orienter nos enfants si nous sommes vraiment responsables, conscients, si nous aimons notre pays et voulons son développement? Si nous aimons nos enfants et nous voulons vraiment les voir réussir, si nous voulons épargner nos enfants des pièges, erreurs qui ont conduit leurs aînés au chômage ? Je crois que la réponse est non.

Nous devons aller au-delà de l’approche classique et traditionnelle de l’orientation ( l’orientation selon les filières disponibles, la série du Bac obtenu, les universités, débouchés possibles, conditions d’admission aux écoles et autres ) et dire véritablement aux nouveaux bacheliers la vérité. Dire la vérité à un nouveau bachelier c’est de lui demander pourquoi il veut s’inscrire dans des filières comme : Géographie, Sociologie, philosophie, Lettres modernes, CBG, Droit, Comptabilité et Gestion, management et gestion des ressources humaines, administration générale, banque finance et assurance, etc. Voilà le taux de chômage que présente ta filière, voilà le nombre de diplômés qui sortent tous les jours et chaque année de ta filière et le pourcentage qui est toujours à la maison, voilà les pièges dans lesquels il ne faut pas tomber, voilà les erreurs à ne pas commettre. Aujourd’hui, l’orientation doit être capacitaire et intrinsèque.

Je ne dois pas venir à l’université parce que je veux trouver un emploi à la fin parce que l’emploi n’existe pas aujourd’hui. L’ancien Président gabonais, Omar Bongo disait que «la recherche de haut diplômes ne doit pas être la finalité, la vraie finalité, c’est d’avoir une formation adéquate afin d’être utile pour le vrai développement de son pays». Si l’orientation peut véritablement tourner autour de cette citation de l’ancien président gabonais, je crois que nous allons former des jeunes qui vont réussir à la fin de leur formation et qui vont vraiment contribuer au développement de notre notre pays.

Nous sommes aujourd’hui dans un pays où vous avez beaucoup de jeunes qui sont bardés de diplômes mais qui se retrouvent dans des cabines de vente de crédits et de mobile money, des zémidjans qui roulent correctement la langue de Molière, qui sont devenus arnaqueurs ( à 90% ce n’est pas leur responsabilité ou un acte volontaire), des filles qui ont fait banque et assurance, comptabilité, administration générale et autres mais qui sont devenues des vendeuses de mèches, de chaussures, de pagnes et de produits cosmétiques, qui sont d’ailleurs fabriqués par des gens qui n’ont pas le Bac.

Après l’obtention des diplômes, ils sont bloqués, ils doivent maintenant faire face à la réalité du terrain. Ils comprennent malheureusement à la fin que leur rêve de l’université n’était qu’une illusion, puisque le terrain parle plus que les prévisions. Il faut faire un diagnostic franc et sincère aux nouveaux bacheliers, leur montrer du doigt les enjeux des années à venir; les besoins réels de notre pays; les risques d’aller au chômage après l’obtention des diplôme et je pense que nous allons résoudre la première équation liée au chômage criard des diplômés.

Africaho: Quelles erreurs les nouveaux bacheliers de 2020 doivent-ils impérativement éviter pour ne pas rejoindre leurs aînés au chômage ?

Banarbé Kouelo: Je leur en aurais cité plusieurs comme je le fais durant mes communications et séance d’orientation (Rires). Cependant, je vais juste me contenter ici de faire neuf injonctions s’ils ne veulent pas rejoindre leurs aînés au chômage.

Nouveaux bacheliers :

  • n’allez pas à l’université si vous n’avez pas une vision d’avenir, un objectif bien précis;
  • n’allez pas à l’université si vous n’avez aucune idée sur la finalité de votre formation;
  • si vous ne savez pas pourquoi vous allez à l’université, n’allez pas;
  • n’allez pas à l’Université pour accomplir les rêves de vos parents;
  • n’allez pas à l’université parce que vos ami(e)s, vos copin(e)s vont à l’université;
  • n’allez pas à l’université parce qu’elle présente une meilleure publicité, offre de meilleurs avantages scolaires ou parce qu’elle possède les beaux uniformes et immeubles;
  • si vous ne savez pas avec précision le pourcentage ou la chance que vous avez de tirer votre épingle du jeu sur le marché d’emploi après l’obtention de vos diplômes, n’allez pas dans cette filière;
  •  si vous pensez étudier comme au collège, n’allez perdre votre temps à l’université;
  • Si vous ne savez pas quelle vie voulez-vous menez après 3 ans ou 5 ans d’études universitaires, n’allez pas à l’université.
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Africaho: On apprend souvent que dans les pays anglophones, les pourvoyeurs d’emplois misent plus sur ce que le potentiel employé sait faire pour l’embaucher. Qu’est-ce qui justifie selon vous, le taux de chômage aussi élevé dans les Etats francophones d’Afrique?

Banarbé Kouelo: Le taux de chômage élevé, constaté dans les États francophones a plusieurs causes, facteurs et paramètres. En dehors de l’orientation scolaire et universitaire ratée par 90% des diplômés, il y a les offres de formations des universités, les connaissances acquises lors de leur formation. La majorité de nos universités sont malheureusement encore au 18è siècle dans leurs différents programmes de formation. Les connaissances données aux étudiants ne cadrent avec les exigences du 21è siècle, les besoins des employeurs pour ne pas dire des entreprises, les besoins réels, défis, enjeux de nos États. L’incompatibilité entre l’offre et la demande des employeurs constitue une vraie cause de ce phénomène de chômage.

Selon Benjamin Bloom, Psychologue en éducation, un enseignant en préparant son cours doit viser six niveaux dans ses objectifs pédagogiques : la connaissance, la compréhension, l’application, l’analyse, la synthèse et la création. Dans nos États francophones pour ne pas dire dans nos universités, quel enseignant ou professeur arrive au niveau 3 de cette taxonomie de Bloom?,Plus de 90% des professeurs se limitent au niveau le plus bas, juste donner les connaissances et rentrer chez eux. Essayez de me dire si ce n’est pas inutile une connaissance qui ne permet pas de résoudre un problème de sa communauté. Le nombre de diplômés livrés chaque année dépasse largement les besoins réels en termes d’emplois. Le mal est profond, nous avons encore du chemin dans cette lutte.

Africaho: Les nombreux cas de chômage que vous avez cités plus haut ne sont exclusivement pas la faute à l’étudiant qui vient fraîchement d’avoir son Baccalauréat. La responsabilité pourrait être imputée aux gouvernants qui manquent d’adapter les offres de formations en adéquation avec le contexte sociologique des pays africains. Selon vous, qui de l’autorité publique, du parent ou de l’apprenant est à même de faire une bonne orientation?

Banarbé Kouelo: La question d’orientation doit être assurée par l’ensemble du système : parents, autorités publiques, les bailleurs de fonds, les enseignants, les ONG intervenants dans le secteur éducatif et les enfants eux-mêmes. Cette question doit d’ailleurs, faire l’objet de débats et de discussions à tous les niveaux. D’ici 2050, la population africaine sera à 2,5 milliards d’habitants avec au moins 50% entre 0 à 25ans. Quelles sont les questions à se poser pour prévenir le mal ?Quels sont nos défis, enjeux et priorités ? J’invite tout simplement les dirigeants à divers niveaux à se rendre à l’évidence que, mieux les apprenants sont orientés vers les enjeux et défis de cette Afrique de demain, mieux ils les affronteront. L’Afrique de 2050 sera invivable si nous continuons avec les mêmes données, les mêmes approches en continuent à former dans nos universités d’excellents chômeurs.

EDUC-AFRIQUE, L’AFRIQUE QUI GAGNE !

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