« Comment l’armée béninoise est devenue républicaine ? », Fiacre Vidjingninou

Paul Danongbe
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Cette tribune est tirée d’une thèse en sociologie militaire soutenue le 5 décembre 2023 à l’université de Rennes 2 par le journaliste béninois Fiacre Vidjingninou, également collaborateur de Jeune Afrique.

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« Enfant malade de l’Afrique ». Rien de mieux pour surnommer l’ancien Dahomey – actuel Bénin – qui, entre 1963 et 1972, a enregistré une douzaine de coups d’État (dont cinq réussis), une dizaine de présidents (six militaires et cinq civils) et cinq changements de Constitution. Une période d’instabilité politique chronique à laquelle se succédèrent dix-sept années de dictature militaire d’inspiration marxiste-léniniste.

Trois décennies d’interventionnisme politique restées, dans la mémoire collective, comme un synonyme de confiscation des libertés fondamentales, de réduction de l’espace civique, de scandales financiers et de retards économiques. On comprend pourquoi, marqués par les séquelles de la dictature militaire, les Béninois choisissent, lors de la Conférence nationale des forces vives de la nation (19-28 février 1990), d’acter le retour des militaires dans les casernes. Les changements politiques et institutionnels causés par l’avènement de la démocratie rendaient inéluctable la réforme de l’armée.


Soumission des militaires aux civils

Depuis 1990, les différents gouvernements ont tenté de professionnaliser l’armée, c’est-à-dire de la rendre respectueuse des lois et des institutions, soumise à l’autorité civile, apolitique et neutre dans le jeu partisan.

Il y eut deux approches de réformes : l’une, organisationnelle, qui a consisté à remodeler l’institution (culture, valeurs et règles) à partir des missions qu’on lui attribue, et l’autre, institutionnelle, qui a permis de modifier les structures. Ces réformes ont abouti à quatre résultats déterminants dans la « républicanisation » de l’armée béninoise.

Le premier d’entre eux est relatif à l’appropriation du principe de la soumission des militaires aux civils. Celle-ci est notamment favorisée par la dépolitisation totale de la fonction militaire avec la constitutionnalisation de l’interdiction, pour les militaires, de briguer un mandat électif ou de renverser un gouvernement, par un renforcement des responsabilités des civils en matière de défense (le chef de l’État est désormais mieux encadré pour jouer son rôle), par la nomination d’un civil comme ministre de la Défense et la mise en place d’une commission de la défense au Parlement.

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Cet affermissement du pouvoir des civils est conforté par un compromis empêchant tacitement les militaires d’intervenir dans la prise de décisions politiques et les civils de s’ingérer dans la gestion opérationnelle de l’outil de défense.


De nouvelles fonctions pour éviter l’oisiveté

Le deuxième résultat significatif concerne la dualisation de la fonction militaire. Celle-ci a consisté à doter les forces armées, à côté de leurs fonctions classiques de défense opérationnelle du territoire, d’autres fonctions (constitutionnalisées) ayant un enjeu occupationnel. Ici, l’hypothèse est qu’une armée oisive est susceptible de développer des plans diaboliques de déstabilisation du pays à travers des putschs.

Dans ce cadre, deux catégories d’activité ont fortement mobilisé l’armée béninoise ces trente dernières années. D’une part, le déploiement des forces sur les opérations de maintien de la paix dans le monde depuis 1995 – l’ONU a d’ailleurs félicité à maintes reprises le Bénin comme un « contributeur modèle »–. L’exercice n’a pas seulement contribué à éloigner les officiers de la gestion interne du pays, il a également servi de cadre au développement de comportements républicains favorables à la paix. Ensuite, la contribution de l’armée aux activités de développement économique national à travers la réalisation de travaux d’intérêt public mobilisant le génie et la direction de santé des armées.


Des effectifs reflets de la diversité

Troisième résultat majeur : la politique de quotas appliquée dans le cadre du recrutement, lequel est proportionnel au poids démographique de chaque département. L’objectif est d’avoir une armée qui reflète le profil et la diversité ethnique du pays (pas d’ethnie majoritaire au sein de l’armée).

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En pratique, cette politique empêche des ententes régionales pour faire des coups d’État dans un pays marqué depuis les années 1960 par des rivalités entre le nord et le sud.

Le quatrième résultat est lié à la réforme de l’ancienne garde présidentielle, devenue garde républicaine en 1996. Elle n’est plus affectée seulement à la protection du chef de l’État mais aussi à la sécurisation des institutions et personnalités publiques. Elle n’est plus un bataillon aux mains du chef d’état-major général (ce dernier fut impliqué dans la quasi-totalité des coups d’État de 1963 à 1972). Les nominations du commandant de la garde républicaine et de son adjoint relèvent désormais des autorités civiles, nommés en conseil sur proposition du ministre de la Défense.

Enfin, son implication dans des activités comme celles de transport du matériel électoral, la sécurisation du vote et des résultats électoraux, illustre la réussite de l’insertion professionnelle des militaires dans le processus démocratique.


Touches successives

Ce que l’on peut appeler le modèle béninois de professionnalisation de l’armée n’a pas été fortuit : il a été construit, suivant une démarche structurée, même s’il n’était pas pensé au départ dans ses méandres. Le processus a été conduit par touches successives, empruntant, au fil des ans et des régimes une trajectoire discontinue, faite sans doute de persévérance mais aussi de remise en cause et de reculs indéniables.

Seuls la volonté politique de maintenir les militaires hors du champ politique et l’engagement de ces derniers à servir le pays dans leurs casernes sont restés constants en dépit de quelques contrariétés qui, au fil de ces trente dernières années, n’ont pas réussi à dérouter le cours de l’expérience démocratique béninoise.

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